jeudi 6 octobre 2016

Adèle








Suite de l'Inktober, j'ai pris un peu d'avance. Adèle est représentée d'après les thèmes suivants : affamé, bruyant, caché, cueillette, roche, triste, perdu, roche, cassé, saut, transport.

 PS : Ce petit personnage s'appelle Adèle. En vrai, il n'existe pas. En vrai, il ne caresse pas de licornes, il n'est pas poursuivi par des araignées géantes, il ne tient pas un cerveau entre ses mains... Adèle, c'était la deuxième fille de Victor Hugo. Je vous laisse découvrir son histoire ici.

mardi 4 octobre 2016

#Inktober

Elle s'appelle Adèle et c'est le petit personnage qui m'accompagnera pendant l'Inktober 2016. Première fois que je tente ce défi inventé par Jake Parker mais l'idée me plaît, alors je me lance ;-)
Sur Twitter et Instagram, vous pouvez suivre le hashtag #Inktober, il regorge de merveilles.
De mon côté, je me contente d'un personnage très simple au stylo bic, inspiré par la psychiatrie (oui, je me rajoute une contrainte aux thèmes proposés, je suis joueuse!)

Ci-dessous, Adèle illustrant les thèmes "cueillette", "bruyant" et "affamé".


 PS : Adèle, c'était la deuxième fille de Victor Hugo. Je vous laisse découvrir son histoire ici.

jeudi 15 septembre 2016

Le bol d'eau chaude

C'est une chambre d'hôpital. Dans cette chambre, un homme va mourir. Dans quelques heures ou dans quelques jours, personne ne sait au juste, mais il va mourir, ça, tout le monde le sait. C'est une chambre qui attend la mort, cependant elle est pleine de vie. Les murs sont décorés de photos, c'est interdit pourtant, mais le personnel soignant a gentiment fermé les yeux. Au bout du lit trône un vieux doudou, c'est Martin, le doudou de l'homme qui va mourir.  Bien sûr, ça fait bien longtemps que Martin ne sert plus de doudou à personne, mais la fille a retrouvé cette vieille peluche dans un carton et elle l'a amenée à son père, comme un petit clin d'oeil. La fille, justement, est assise sur le fauteuil. Dans ses bras, un bébé endormi. Un tout jeune bébé, qui n'a que quelques semaines à peine. Trois générations dans cette chambre pleine de vie qui sent déjà la mort, trois générations silencieuses et fatiguées.
Deux petits coups discrets frappés à la porte. L'homme malade dort, le bébé aussi, seule la fille relève la tête. Une aide-soignante entre doucement et dépose un bol d'eau chaude à côté du fauteuil. La fille sourit et remercie, elle a envie de pleurer mais elle se retient, ses sanglots risqueraient de réveiller l'homme et l'enfant endormis. L'eau chaude, c'est pour sa tisane, parce qu'au distributeur de l'hôpital il n'y a que du thé et du café. Ce n'est qu'un bol d'eau chaude, mais c'est tellement plus que ça. Ce bol d'eau chaude, c'est aussi la merveilleuse attention d'une aide-soignante pour cette maman fatiguée qui va bientôt perdre son père. C'est la bienveillance de toute une équipe qui accompagne sa famille depuis plusieurs mois. C'est le sourire de l'aide-soignante, l'écoute de l'infirmière, l'humour du brancardier. C'est la douceur de la kiné et la gentillesse de l'ASH. C'est le soin dans ce qu'il a de plus beau, le soin qui ne soigne pas mais qui prend soin.

C'est cette équipe soignante qui m'a donné l'envie d'être aide-soignante. Grâce à un bol d'eau chaude.

lundi 12 septembre 2016

Vous allez souffrir!

Elle n'a pas cinquante ans et elle va mourir. Le sait-elle? Pas sûr. Ses enfants le savent-ils? Non. L'oncologue le sait-il? Sans doute que oui. Pour l'heure, elle vient d'entrer à l'hôpital pour, officiellement, y passer quelques examens et "se requinquer", comme elle l'a annoncé à sa fille. N'importe qui peut deviner à la vue de cette femme amaigrie et marquée que le cancer a gagné. Il a grignoté les poumons, petit bout par petit bout. Il a marqué le corps, cerné les yeux, affaibli tout l'organisme. Il se prépare pour le coup de grâce, le grand final, l'apothéose. N'importe qui peut voir cela, sauf la jeune fille, qui ne voit que sa mère qui se bat, qui croit encore que c'est possible, même après neuf mois de traitements, même quand on pèse trente-cinq kilos.
Ce matin, c'est la visite de l'oncologue. Il est ici en terrain conquis, dans son service, avec ses patients.
"Madame F., j'ai eu les résultats de votre scintigraphie, c'est pas bon, vous avez des métastases osseuses localisées sur la hanche, ce qui explique vos douleurs. Je vais vous prescrire quelques séances de radiothérapie."
La femme réagit à peine. Trop fatiguée, trop douloureuse, trop mourante.
La fille comprend. Sa mère a perdu et elle va perdre sa mère. La chimiothérapie, la radiothérapie, l'espoir d'une rémission, la rechute... la fin.
L'oncologue, lui, ne comprend rien. La femme a un cancer, il s'occupe des cancers, ça tombe bien. Il s'occupe des maladies mais pas des malades, et encore moins des familles de malades. Alors la femme et son regard fatigué, la fille et son regard désespéré, ça n'est pas son problème.
Il sort de la chambre comme il y était entré : vite.
La jeune fille lui emboîte le pas, il faut qu'elle lui parle, il faut qu'elle comprenne. C'est quoi ces métastases? Et le poumon, il en est où? Et la radiothérapie, ça va servir à quoi? Silence à peine gêné, suivi de quelques confuses explications. Non, il ne va pas guérir sa mère, la maladie est trop avancée, il va juste "gagner du temps". La fille ne comprend pas. Gagner du temps, quand on souffre à ce point, ça sert à quoi, sinon à souffrir plus longtemps? Si la radiothérapie ne peut pas guérir sa mère, pourquoi la lui infliger, pourquoi ne pas la laisser tranquille? Monsieur le docteur, l'oncologue, le chef de service, a devant lui une jeune effrontée qui ose remettre en question son avis. Quel toupet!
Alors, furieux, il retourne dans la chambre de la mourante, se plante devant elle et, sur un ton parfaitement méprisant, lui assène cette tirade mémorable :
"Vous refusez le traitement que je vous propose? Vous croyez mieux savoir que moi? Vous êtes médecin peut-être? Très bien, puisque vous refusez la radiothérapie, vous ne l'aurez pas. Mais je vous préviens Madame, vous allez souffrir, les métastases osseuses ça fait très mal, et il ne faudra pas venir vous plaindre ni compter sur moi pour vous prescrire des antidouleurs, je vous aurai prévenue!"
Et il ressort aussitôt, laissant à leur stupeur la mère et la fille qui n'ont même pas eu le temps de répondre.

Madame F. est morte dix jours plus tard. Elle a en effet beaucoup souffert, malgré la morphine prescrite par un autre médecin (un peu moins con, un peu plus humain) du service.

Madame F. était ma mère.

mercredi 7 septembre 2016

Il court il court le soutif...



Vendredi 2 septembre

Ça commence comme un jour normal. Liste de courses en main, je parcours les rayons d'un supermarché. Entre autres choses normales d'une liste normale (pain, compotes, fruits, bref rien d'exceptionnel), je dois trouver une brassière pour ma fille de douze ans. Rien de très palpitant donc. Au rayon enfant/ado, je m'arrête devant la partie lingerie. Les brassières sont trop grandes ou trop petites (oui, trop petites!), je me rabats donc sur les soutiens-gorge (là je vous glisse un petit lien en passant, parce que j'avoue avoir hésité sur le pluriel). J'avise un modèle tout simple (et pas trop cher) quand mon regard est happé par celui d'à côté, avec des coussinets, et arborant une étiquette explicative. Bon... Des coussinets au rayon enfant, déjà, ça m'énerve... mais alors l'argument marketing, non, vraiment... Non!
Je me revois à douze ans, avec mes oeufs au plat en guise de poitrine, et je repense aux quolibets de mes camarades. Les ados, c'est pas toujours très sympa, et ça peut même être franchement con. Aujourd'hui, j'arbore un discret 85B et je le vis très bien, merci. Je ne porte pas de soutien-gorge rembourré, d'ailleurs je ne porte pas de soutien-gorge tout court, et ça aussi je le vis très bien. Et même, j'allaite, preuve que ça n'a rien à voir avec la taille. Bref, je digresse. Passablement énervée, je fais une photo de l'étiquette en essayant d'être un peu discrète (parce que photographier des soutifs au rayon ado, ça fait moyennement mère respectable quand même) et pouf, je tweete. Juste un tweet. Juste un petit tweet de rien du tout. Et je finis mes courses tranquillement (sans acheter le soutif rembourré, faut pas déconner non plus).
Puis je rentre tranquillement chez moi, range mes courses (ouais, j'ai une vie incroyable je vous dis, je fais des courses et je les range après!), et regarde Twitter. Oh purée! Le tweet est repris et la marque est interpellée, visiblement je ne suis pas la seule à être choquée.
Mais bon, dans ma vie normale d'aide-soignante normale, j'ai aussi un travail normal, et il est l'heure normale pour y aller, donc je file au boulot.
Je ne regarde mon portable qu'à l'heure de la pause, vers 17h, et j'y trouve le message de deux journalistes. L'une souhaite me poser des questions en DM, l'autre aimerait qu'on s'appelle. Je réponds rapidement en sirotant mon café et retourne bosser. Je découvre l'article de BuzzFeed quelques heures plus tard, ici :
BuzzFeed France (Marie Kirschen).
Après, ça s'enchaîne un peu :
BuzzFeed News (Marie Kirschen et Ikran Dahir)
Refinery29 UK (Natalie Gil)
upgags (article non signé)

Samedi 5 septembre
De passage à Paris avec mon mari, je profite d'une après-midi chez Clara pour aller zieuter avec elle dans une vraie boutique Dim. Les soutiens-gorge sont bien au rayon enfant/ado, juste à côté des culottes assorties en taille 12 ans. Aucun doute sur la cible. Il y a donc des gens, quelque part, qui se sont dit que ce serait une bonne idée que de vendre des soutifs rembourrés à des gamines. Et que l'argument marketing du coussinet pour lisser les imperfections serait suffisamment éloquent pour faire passer le truc ni vu ni connu. C'est vrai quoi, si à douze ans on n'a pas de nibards c'est qu'on a raté sa vie!
Pendant ce temps, le tweet continue sa vie, et c'est très bien comme ça.

Dimanche 4 septembre
Retour en Bretagne, crevés, dodo! Pendant ce temps : 
2girls1mag (Chrys)

Lundi 5 septembre
Comme convenu, la journaliste de Libé m'appelle le matin. Je suis un peu décontenancée et je le lui dis, je n'ai rien d'intéressant à dire sur le sujet. J'ai vu un truc, ça m'a énervée, je l'ai partagé, point. Elle me rassure en m'expliquant l'orientation qu'elle donnera à son article. Et finalement, dans l'après-midi, il sort en ligne :
Libération (Juliette Deborde) (dans la presse écrite le lendemain)
Viraltor (Mrpres)

Mardi 6 septembre
Là, ça devient marrant. Le matin, je reçois un coup de fil d'une journaliste radio qui souhaite une interview téléphonique pour une matinale. Je tweete sous mon vrai nom, je ne suis donc pas difficile à trouver dans l'annuaire, mais ce coup de fil me surprend. Je panique un peu, je lui répète la même chose qu'à la journaliste de Libé, je ne suis vraiment pas la mieux placée pour parler de soutifs, et puis je suis pas très à l'aise avec l'idée. Elle me rassure, ce n'est pas du direct, c'est enregistré et ce sera court. Bon... OK. Entre-temps, même demande pour une émission télé, via Skype. Ouais mais là non, j'ai déjà du mal à supporter ma voix, alors ma tête en plus, ça va pas être possible. Et puis, oh quel dommage, j'ai pas de webcam, c'est con hein! Finalement, une interview téléphonique fera l'affaire, bien que je n'aie toujours rien d'intelligent à dire sur le sujet. "C'est pour l'accroche" me dit-on. Bref, c'est un genre de micro-trottoir au téléphone, il paraît que "les gens" aiment bien ça (perso j'en ai horreur, c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je ne regarde pas le JT, l'avis des gens dans la rue je m'en contrefous). Pendant ce temps :
Konbini (Bérénice Rebufa) (tiens, c'est marrant, l'auteure pense que je suis la Florence Braud du site Mediapart sauf que raté, c'est une homonyme!)
YZGeneration (Faël Isthar)
Mou'v (Lise Pressac) (la chronique radio est vraiment drôle!)
VSD


Instagram de Barbara Greenberg
Daily Magazine et Yahoo (Beth Greenfield) (ah, maintenant je suis une "mom outraged")
marie claire UK (Corinne Redfern)
15a20 (Katia Varela) (ici je suis "una mami francesa")
seventeen (Hannah Orenstein) (son prénom est un palindrome, ça plairait à ma fille)
La marque de soutif finit par répondre, je retweete (c'est de bonne guerre), mais leur réponse n'est pas très convaincante.
zena (Serbie) (Je deviens Florens Bro)

Mercredi 7 septembre
À midi, je regarde C8 pour voir leur sujet sur le soutif. Entendre ma voix à la télé n'est pas une bonne expérience auditive, surtout le long "beeeeeeen" qui débute ma phrase (qui ne veut rien dire, j'avoue, j'étais stressée). C'est ici : La Nouvelle Édition  (Mathilde Terrier) (spoiler alert, je suis présentée comme une "lanceuse d'alerte" et ça me fait bien bidonner... c'est juste la photo d'un soutif hein, c'est pas le scandale du Mediator!)
Je découvre à l'occasion la réponse faite par la marque de soutif, et je me dis que la journaliste a dû sacrément les emmerder pour qu'ils se décident à envoyer ça. Outre le fait que le courrier commence par "Cher Madame" (peut-être une astuce pour ne pas vexer les féministes?), j'ai surtout l'impression que ça ne veut pas dire grand-chose.
Pendant ce temps...
ohmymag (Floriane Reynaud)
Le journal des femmes (Laura Bonnemere) (tiens, ici aussi je suis chez Mediapart... bizarre...)
Femina CH (Julianne Monin) (rhoooo ben pareil, encore Mediapart!)
HerFamily (Trine Jensen-Burke)
MMC News
Dolly (Bianca Mastroianni)
Glamour (VF)
sheknows (Theresa Edwards)
hokkfabrica Hong Kong (ça devient international cette histoire!)

Fin de la journée. J'ai appris des trucs plus ou moins marrants.
En anglais, "on n'a pas le cul sorti des ronces" se dit "we're really not done with this shit" (on sait jamais, ça peut servir)
Une journaliste m'a posé des questions en message privé, trois ont appelé. Question vérification, c'est léger. Sur la photo initiale on ne voit pas la taille du soutif (70A). Et si je m'étais trompée?
La réponse de la marque est franchement tardive, et elle ne veut rien dire. Au final, les étiquettes seront enlevées (et sans doute remplacées par un autre texte). Oui, et? Il y aura toujours des coussinets dans les soutifs en 70A non?
La rumeur, c'est comme le dentifrice, quand elle est sortie du tube on ne peut plus la faire rentrer. Le tweet initial a été retweeté 406 fois, la réponse de la marque a été retweetée... une seule fois (et encore, c'était par moi-même).
La palme du bon sens revient à belle-maman qui, dans une réponse très pragmatique, m'a sorti un "ils n'ont que ça à faire"!
C'est vrai que si toute cette belle énergie était dépensée à parler du burn-out des soignants, ou des violences faites aux femmes, ou encore, soyons fous, des droits des patients...
Mais pardon, je digresse encore...

PS : j'alimente ce billet au fur et à mesure de mes découvertes. Je découvre donc, un peu ahurie, que n'importe qui peut vous mentionner dans un article et se servir d'une photo que vous avez faite (et diffusée publiquement, il est vrai) sans même vous en avertir. Bon à savoir.

Jeudi 8 septembre
aufeminin (Margaux Rouche)
marie claire FR (Lola Talik)
Flair (Laurane Wattecamps)
Independent IE (Online Editors)

Vendredi 9 septembre
EssentialKids (Cat Rodie)

Lundi 12 septembre
stuff


Jeudi 15 septembre
Revelist (Rae Paoletta)

Samedi 17 septembre
En allant faire des courses, surprise, je retombe sur les fameux soutifs... et constate que les étiquettes ont été enlevées! Il n'y a pas de petite victoire ;-)

Dimanche 18 septembre
rmc.bfmtv (Marie Régnier)

Mardi 20 septembre
We need caféine (Paola Vavasseur)
axelle mag.be




dimanche 17 juillet 2016

Le contrat

Article 212 : Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance.

Tu te rappelles mon amour? Ces voeux, nous les avons faits ensemble devant le maire. Toi, moi, par un beau samedi du mois de juin, il y a cinquante-quatre ans. Toi dans ton beau costume, moi dans ma robe blanche. Nos parents, fiers, souriants, et cette belle photo de nous en noir et blanc qui trône sur la cheminée depuis tant années. Fidélité, secours, assistance. Des engagements que nous avons tenus. Jour après jour, malgré la trop charmante voisine qui te tournait autour, malgré la perte de ton emploi, malgré l'accident qui a coûté la vie à notre fille.

Article 213 : Le mari est le chef de la famille. Il exerce cette fonction dans l'intérêt commun du ménage et des enfants.

La femme concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à pourvoir à son entretien, à élever les enfants et à préparer leur établissement.

Tu as travaillé dur. J'ai élevé nos enfants et tenu la maison. Quand tu rentrais le soir, la soupe était prête et la maison propre. Un parfait petit mari travailleur, une parfaite petite maîtresse de maison. Une parfaite petite famille dans une parfaite petite maison.

La femme remplace le mari dans sa fonction de chef s'il est hors d'état de manifester sa volonté en raison de son incapacité, de son absence, de son éloignement ou de toute autre cause.

Parfois, tu partais loin. Je m'occupais de tout. Tu pouvais avoir l'esprit tranquille, tu savais que tout irait bien en ton absence. Je pouvais avoir l'esprit tranquille, je savais que nous serions heureux de nous retrouver.

Article 214 : Si le contrat de mariage ne règle pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils contribuent à celles-ci en proportion de leurs facultés respectives.
L'obligation d'assumer ces charges pèse, à titre principal, sur le mari. Il est obligé de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état.

Nous n'avons presque manqué de rien. Nous avons pu acheter notre maison et payer les études des enfants. Tout était bien. Bien sûr il y a eu des périodes difficiles, parfois, mais ça n'était rien à côté des privations subies pendant la guerre. Nous avions tellement manqué de tout quand nous étions enfants! Alors, pouvoir manger à chaque repas et dormir au chaud, quel luxe en vérité!

La femme s'acquitte de sa contribution aux charges du mariage par ses apports en dot ou en communauté et par les prélèvements qu'elle fait sur les ressources personnelles dont l'administration lui est réservée.
Si l'un des deux époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre époux dans les formes prévues à l'article 864 du code de procédure civile.

Nul besoin de contrainte dans notre couple. L'argent n'a jamais été sujet de discorde entre nous. Nous étions économes sans être radins, nous avions ce qu'il fallait sans crouler sous l'opulence. Je n'ai jamais vérifié tes fiches de paye, tu n'as jamais vérifié mes dépenses pour le ménage. La confiance était totale et réciproque.


Article 215 : Le choix de la résidence de la famille appartient au mari ; la femme est obligée d'habiter avec lui, et il est tenu de la recevoir.
Lorsque la résidence fixée par le mari présente pour la famille des dangers d'ordre physique ou d'ordre moral, la femme peut, par exception, être autorisée à avoir, pour elle et ses enfants, une autre résidence fixée par le juge.

C'est sur ces dernières phrases que nos chemins se séparent. Tu comprends mon amour, je ne peux plus vivre avec toi. Parce que justement, je ne vis plus. Parce que je passe mes jours et mes nuits à m'inquiéter pour toi. Parce que nous sommes devenus des étrangers l'un pour l'autre. Je ne suis plus ton épouse. Je suis parfois ta soeur, souvent ta mère, et la plupart du temps une parfaite inconnue. Tu n'es plus mon époux. Tu es celui qui hurle la nuit, celui qui m'insulte, celui qui m'ignore. Je voudrais t'aimer, mais je n'y arrive plus. Parce que tu me fais peur, parce que m'épuises, parce que tu finiras par me tuer.
Je ne me débarrasse pas de toi mon amour. Je le fais pour toi, pour moi, pour nous. Je le fais parce que nous avons été un couple heureux, et que je veux garder ce souvenir de nous. Parce que tu étais mon mari, mon amant, mon tout. Parce que notre amour n'a pas su résister à la maladie. Parce que je suis trop vieille pour mourir d'amour.
Tes valises sont prêtes. Toi, tu tournes en rond dans le salon, comme tous les jours. Je t'ai parlé de cet endroit où tu allais, je t'ai dit que je ne t'abandonnais pas mais que je te confiais à d'autres qui sauront mieux s'occuper de toi. Je ne t'ai pas menti. Alors pourquoi ai-je ce sentiment amer d'une ultime trahison? Pourquoi cette culpabilité lancinante? Pourquoi cette envie de mourir quand je t'offre une nouvelle vie?
Pourquoi ce chagrin d'amour alors que nous nous sommes tant aimés?

Article final : Jusqu'à ce qu'Aloïs vous sépare.* 


* merci à @kataidante pour la touche finale

PS : l'époux et l'épouse de ce texte sont des personnages fictifs. Purement fictifs. Ne les cherchez pas parmi les résidents que vous connaissez, ils n'existent pas.

dimanche 10 juillet 2016

Mon passé, votre présent

Je suis assise dans un fauteuil et j'attends. J'attends quoi? J'ai oublié. Sans doute un repas, mais je ne sais plus lequel. Pas grave, pas important.
En face de moi, le mur. Sur le mur, des photos. Je les regarde attentivement. Des bébés joufflus, des enfants souriants, une photo de mariage... Qui sont tous ces gens? Je scrute chaque visage, à la recherche d'un indice. Le gros bébé, à gauche, ressemble vaguement à ma petite-fille Élodie quand elle était petite. Le blondinet, au milieu, avec son pull à rayures, on dirait bien le petit Paul... Mais Paul a au moins trente ans maintenant, si ce n'est plus... Donc ce n'est pas lui... Son fils peut-être? Et là, cette photo de mariage? La mariée est belle, très belle même, aussi belle que pourrait l'être Cassandra... Quant au marié, non, vraiment, son visage ne me dit rien. Je ne le connais sans doute pas. Depuis combien de temps n'ai-je pas vu Cassandra? Elle passait tous ses étés chez nous quand elle était petite. Le jardin était son terrain de jeux, elle y avait construit une cabane avec ses cousins. Des étés de rires, de clafoutis aux cerises et de courses à vélo dans le petit bois. Et puis les petits-enfants ont grandi, et j'ai vieilli. Charles est parti il y a longtemps déjà. Le crabe a grignoté ses poumons et sa vie. Cinquante-quatre ans d'amour. Quel vide il a laissé derrière lui! De mamie-gâteau je suis passée à mamie-ronchon. Les douleurs du veuvage et de l'arthrose ne sont pas les compagnes idéales quand on veut rester une gentille grand-mère.
Les petits-enfants ont grandi. Les études, les mariages, les enfants... Et mes enfants sont devenus grands-parents à leur tour. À eux maintenant les rôles de mamie-tricot et papi-bricole, moi je suis devenue la Vieille, celle qui est trop vieille pour s'occuper des enfants, trop vieille pour les faire sauter sur ses genoux, trop vieille pour leur faire de bons gâteaux. Je suis devenue la Vieille dans sa vieille maison, avec son vieux chat, ses vieux meubles et ses vieux souvenirs. La vieille qui pue le vieux.
La dépendance a fait irruption sans que je m'y attende. À défaut de recevoir les visites de la famille, j'ai reçu celles des soignants. Aides à domicile, infirmières, kinés... Je n'avais presque plus rien à faire, juste à rester assise dans mon vieux fauteuil à attendre le ding dong de la prochaine visite. Reposant... et mortellement ennuyeux.
L'étape d'après, en toute logique, c'était la maison de retraite. Parce que la Vieille était trop dépendante, parce que c'était trop risqué de rester seule dans cette grande maison, parce que je serais mieux ici... Tu parles! Ils m'ont bien eue sur ce coup!
Ils m'ont acheté des meubles neufs, plus petits, plus fonctionnels, et m'ont demandé d'y caser l'essentiel de ma vie. Ils m'ont acheté des vêtements neufs, parce que les miens sentaient trop le vieux. J'avais une grande et vieille maison, j'ai maintenant une petite chambre neuve. J'avais des robes uniques, cousues de mes mains, j'ai maintenant des vêtements fabriqués en série par des gens que je ne connais pas.
Ils m'ont installée ici avec mes meubles et mes vêtements neufs, fiers d'eux, fiers du sacrifice financier qu'ils faisaient pour la Vieille, alors que je ne leur avais rien demandé, et ils sont repartis. Ils sont venus me voir tous les jours, puis toutes les semaines, puis tous les mois... Et maintenant, une fois de temps en temps... Parce qu'ils sont loin, parce qu'ils sont occupés, parce qu'ils ont du travail... Parce qu'aller voir la Vieille qui pue le vieux dans sa prison pour vieux, c'est pas très glamour comme sortie dominicale.
Mais ils pensent à moi, ils me le répètent à chaque fois. D'ailleurs, ils m'amènent des photos. Des photos de bébés joufflus, de blondinets souriants et de mariages auxquels je n'ai pas été invitée. Ils m'envoient des faire-part de naissance et des cartes postales de destinations lointaines... Espagne, Martinique, Inde... Ils me parlent de leur boulot, de leurs gosses, de leur vie... Mais ils ne me parlent pas de la mienne.
Sur le mur en face de moi, je regarde leurs vies. Leurs vies dont je ne fais plus partie. Je regarde ces enfants que je ne connais pas et dont, en toute sincérité, je me moque éperdument. Je vais bientôt mourir. Je n'ai pas particulièrement peur, je ne suis pas particulièrement triste. J'ai fait mon temps, c'est tout.
Je voudrais revivre mon passé, pas vivre le présent des autres. Je voudrais qu'on me laisse m'enfermer dans mes souvenirs.
Je voudrais respirer le parfum de Charles, caresser le bois de ma vieille armoire, écouter les chansons de mes vingt ans, manger du clafoutis aux cerises, revoir les gens et les lieux que j'ai aimés, pas ceux que je n'aurai pas le temps d'aimer.
Laissez-moi repartir en arrière, et continuez sans moi. Ne soyez pas tristes... Je serai tellement plus heureuse ainsi, dans les sensations du passé.
Tant de beaux souvenirs, tant de joies surannées, tant de bonheur oublié... Les rires... les clafoutis... les mains de Charles... les boucles blondes de mon petit garçon...

PS : en vrai, je ne suis pas assise dans un fauteuil. Je suis assise sur une chaise de bureau et j'attends que mon chat quitte mes genoux pour aller faire à manger.

mardi 5 juillet 2016

Chambre 423


Décembre 2013
À l'époque, je suis élève aide-soignante, et je suis en stage à l'hôpital dans lequel est mort mon père à peine plus d'un an plus tôt. C'est le dernier jour que l'émotion me submerge.

Je suis donc retournée à l'hôpital. Le premier jour, après être sortie de ma voiture, je suis restée de longues minutes devant ce grand bâtiment qui avait englouti mon père. Tout droit, l'entrée. À gauche, la chambre mortuaire. À droite, le service de gastro. Là où il est mort. Entrer. Prendre à droite, direction l'ascenseur, et monter. Pas en gastro, non, mais l'étage en dessous. Chirurgie. Dernière porte, tout au fond. Mêmes couloirs, mêmes chambres, même vue depuis les fenêtres.
Même numérotation de chambres. Chambre 423. La même qu'en haut. Exactement la même. De la fenêtre, je vois le clocher de l'église du bourg voisin. Là où a eu lieu la cérémonie d'enterrement.
Un mois de stage. Un mois à passer devant la chambre 423. J'y entre rarement car ce n'est pas "mon" secteur. Servir un repas de temps en temps, aider à l'installation d'un patient, apporter un bassin... Je n'y reste jamais longtemps.
Dernier jour de stage. Je finis dans une heure. L'après-midi, c'est le nettoyage à fond des chambres des sortants. Cet après-midi, c'est la chambre 423 qui est à faire. Bizarrement, ça ne fait pas tilt. Je commence tranquillement, je désinfecte le lit, le matelas, tout en discutant avec ma co-stagiaire, et subitement, je réalise. Je suis dans la chambre 423. Pile au-dessus de moi, mon père est mort. Arrêt. J'ouvre les volets en grand. De même que j'étais restée de longues minutes devant l'hôpital le premier jour, je reste devant la fenêtre et je regarde. Les champs, la petite route qui s'en va vers le bourg, et le clocher, au loin, dans la brume. Le dernier paysage qu'a vu mon père.
Larmes. Et sourire. La boucle est bouclée.

dimanche 3 juillet 2016

Vieillir


Quand j'étais toute petite, ma vie tournait autour de trois dates : Noël, mon anniversaire, ma fête. Trois événements, trois occasions d'avoir des cadeaux. La vie est simple pour les enfants. Évidemment, il y avait d'autres dates importantes : Pâques pour les chocolats, les vacances scolaires pour aller chez ma mamie, le jour de l'An pour pouvoir se coucher tard. Et puis j'ai grandi. Je me suis intéressée à d'autres choses que ma petite personne. Mon frère et mes parents avaient eux aussi leurs dates importantes. Et puis, il y avait les fêtes commerciales, celles dont tout le monde parle. Chez nous on fêtait tout ce qui pouvait se fêter : anniversaires, fêtes, anniversaires de mariage et de fiançailles, fête des mères, fête des pères, Saint-Valentin... Ça en faisait des dates à retenir!
Quatorze février, trente avril, deux juin, treize juin, vingt-deux novembre, vingt-cinq décembre... Des gâteaux, des cadeaux, des bougies... Des repas, des fêtes, des rires...
Et puis j'ai encore grandi. À cette collection d'événements familiaux sont venues s'ajouter les dates historiques, celles qu'on apprend à l'école. Huit mai, dix-huit juin, quatorze juillet, onze novembre... Cortèges, commémorations, jours fériés...
J'ai fondé une famille. Un mari, deux enfants, deux beaux-parents... De nouveaux anniversaires, de nouvelles fêtes. Vingt-et-un août, seize novembre, vingt-deux juin, trente-et-un octobre...
Mon frère a fait de même. Une femme, des enfants... Encore des dates. Vingt-sept avril, quinze août, trente janvier, vingt-deux février...
J'ai vieilli. Des gens sont morts. Treize septembre, trente juillet, vingt-neuf avril...
J'ai trente-neuf ans. Chaque mois, il y a quelque chose dont je dois me souvenir. Chaque souvenir me ramène quelques années en arrière.
Ma nièce est née un vendredi. C'était le dernier jour de mon stage de moniteur-éducateur, j'ai appris sa naissance par un sms reçu alors que je me trouvais dans le hall d'entrée d'un Institut Médico-Éducatif quelque part dans le Tarn.
Ma mère est morte un lundi, comme mon père. Comme mon beau-père aussi. J'aime pas les lundis.
Je suis née un samedi. Ce soir-là, mes parents devaient aller à un bal. Finalement, ils sont allés à la maternité, je suis née, et mon père est allé au bal tout seul pour annoncer qu'il venait d'avoir une fille!
AZF a explosé le vendredi vingt-et-septembre 2001 à 10h17. J'étais en cours et je rêvais d'une pause café/clope, je venais tout juste de regarder ma montre en soupirant. Il y a eu comme un bruit sourd, puis un souffle, et puis... BOUM! Les grandes vitres de la salle ont volé en éclats, il y a eu des hurlements, une bousculade, nous sommes tous sortis précipitamment de l'école. Après le moment de sidération, je suis rentrée chez moi, calmement, de toute façon l'école était toute cassée, inutile de s'attarder.
Des dates et des souvenirs, j'en ai plein. Une date, un événement, un lieu, un nom. Et puis des images, des bruits, des émotions. Des souvenirs précis, d'autres flous, des sensations diffuses ou des images brutes.
Chaque mois qui commence amène son cortège de dates à retenir. On fête, on commémore, parfois on oublie.
Je vais vieillir, mes enfants vont grandir. Ils vont vivre des choses eux-aussi : diplômes, mariages (j'espère), naissances (j'espère encore plus fort)...
Ceux qui m'entourent vont mourir. Encore des dates, encore des pierres à graver.
Et puis un jour je serai vieille. Une vieille mamie toute ridée toute fripée. Comme toute bonne vieille mamie qui se respecte, je ferai des confitures et tricoterai de la layette pour mes petits-enfants, si je n'ai pas trop d'arthrose. Et comme toute bonne vieille mamie qui se respecte, il faudra me répéter trois fois que la semaine prochaine c'est l'anniversaire de Sidonie, la deuxième fille de mon fils (et non la première fille de ma fille). Moi, pendant ce temps, j'essaierai désespérément de me souvenir du prénom du premier mari de ma fille, celui qui était si gentil, parce qu'il me semblera que c'est bientôt son anniversaire. Perdue dans mes pensées, je n'écouterai pas mon fils égrener pour la énième fois les prénoms et anniversaires de ses sept enfants (sept enfants et quatre mères différentes, quelle idée de tomber si souvent amoureux aussi!). Il me dévisagera, inquiet, me demandera comment s'appelle le plus jeune de ses fils puis, devant mon hésitation, froncera les sourcils, et je devinerai dans ses yeux (qu'il a fort beaux) le spectre d'Alzheimer.
Soyez indulgents avec vos vieux parents. Ils ont tant et tant de souvenirs, tant et tant de dates à retenir, qu'il leur faut parfois du temps pour retrouver le bon moment au bon endroit. Il faut fouiller, dépoussiérer, retourner des vieilles choses. Et puis, parfois, au milieu des images, des sons et des émotions, certains prénoms disparaissent, certaines dates s'effacent, engloutis par la marée montante des choses de la vie...
Soyez gentils, n'accusez pas Monsieur Alzheimer tout de suite, n'invoquez pas la sénilité, acceptez juste que parfois, les vieux ont la mémoire qui déborde de trop de choses.

samedi 2 juillet 2016

Quand je serai vieille...


Quand je serai vieille...





Quand je serai vieille, je ne veux pas qu'on m 'appelle « ma ptite dame » ou « ma jolie ». Je veux être respectée et conserver mon identité jusqu'à la fin. Je ne veux pas qu'on me retourne dans tous les sens sans même me prévenir pendant les soins. Je veux qu'on me touche avec douceur et qu'on m'explique ce qu'on me fait. Je ne veux pas qu'on me juge et qu'on dise de moi que je suis difficile ou compliquée. Je veux qu'on me traite avec bienveillance et qu'on accepte que je ne sois pas toujours de bonne composition.
Quand je serai vieille, je ne veux pas dormir dans des draps d'hôpital, je veux mon linge de lit. Je ne veux pas être lavée au gant jetable, je veux mes affaires de toilette. Je ne veux pas qu'on me serve mes repas dans des barquettes en plastique, je veux une jolie vaisselle comme à la maison.
Quand je serai vieille, je ne veux pas d'une couche, je veux une protection. Je ne veux pas d'un bavoir, je veux une grande serviette. Je ne veux pas d'un verre canard, je veux un verre ergonomique.
Quand je serai vieille, je ne veux pas qu'on parle devant moi comme si je n'étais pas là. Je veux pouvoir discuter avec ceux qui s'occuperont de moi. Je ne veux pas qu'on s'empare de mon fauteuil sans me prévenir pour m'embarquer à toute vitesse à l'autre bout du couloir. Je veux qu'on m'annonce qu'on va changer de pièce et qu'on chemine à un rythme qui ne me donne pas le vertige. Je ne veux pas qu'on me dise de faire dans ma protection sous prétexte que je suis trop longue à installer aux toilettes. Je veux que mes besoins élémentaires soient respectés et ma dignité conservée.
Quand je serai vieille, je marcherai moins bien, j'entendrai moins bien, je comprendrai moins bien. Mais je serai toujours capable d'aimer telle ou telle personne, d'avoir envie de tel ou tel menu, d'avoir peur de tel ou tel événement.

Quand je serai vieille, je veux juste qu'on ne m'enlève pas le droit d'être moi.