dimanche 11 mars 2018

Mens sana in corpore sano

Je ne veux pas me lever. Il est encore trop tôt, le soleil n'est pas levé, lui, alors pourquoi devrais-je le faire?

Je ne veux pas me laver. Je ne suis pas sale, je ne l'a jamais été, et puis pour le peu que je bouge!

Je ne veux pas manger. Je n'ai pas faim, et puis on mange toujours pareil. De la purée, de la soupe, de la bouillie.

Je ne veux pas m'asseoir. Je veux marcher.

Je ne veux pas sortir prendre l'air. Je suis bien, là, dans ce fauteuil, qu'irais-je faire dehors?

Je ne veux pas prendre ce médicament. Il a mauvais goût et ça me rend malade.

Je ne veux pas parler. Je n'ai rien à dire, et puis ça ne sert à rien.

Je ne veux pas me déshabiller. Je vais avoir mal, et froid, je le sais.

Je ne veux pas me coucher. Je n'ai pas sommeil, il est bien trop tôt. 

Je ne veux pas...

Et toi, le soignant, qu'est-ce que tu fais de tout ça? Tu me le demandes, mi-amusé mi-désabusé. Tu veux que je te dise?
Toi, le soignant, j'aimerais que tu t'adaptes. Que tu négocies. Que tu diffères. Que tu temporises. Que tu me proposes autre chose, autrement. Et même, parfois, que tu renonces. Parce que ça n'est pas si urgent. Ni si important. Parce que ça peut être fait à un autre moment. Avec une autre personne. Dans un autre endroit. D'une autre façon.
Parce que c'est mon rythme que tu dois respecter, et non le tien. Parce que c'est mon corps, mon sommeil, mon appétit, mon envie. Ma peur aussi. Parce que c'est ma maison. Parce que si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard. Parce que si ce n'est pas avec toi, ce sera avec quelqu'un d'autre.

Toi, le soignant, tu veux que ton travail soit bien fait. Tu veux que je sois bien propre et bien nourrie. Tu veux que je sois bien dans ma tête et dans mon corps (et dans mes vêtements et dans ma chambre aussi). Mens sana in corpore sano. Toi, le soignant, tu veux t'occuper de moi. Et tu y mets du tien. Tu te donnes du mal pour faire les choses de la bonne façon. À ta façon.
Mais moi, je ne veux pas. Ce n'est pas contre toi, ni contre moi. C'est juste que ta façon n'est pas la mienne.

Viens. Assieds-toi à côté de moi. Laisse-moi te raconter. Je vais te parler de moi, de ce que j'aime et de ce qui me fait peur. Je vais te parler de ma vie d'avant, avant ici, avant toi. Je vais te parler d'une femme que tu ne connais pas. De moi, il y a dix ans, vingt ans, cinquante ans. Je vais te raconter ma maison, ma famille, et même mes recettes. Je vais te raconter mon travail, mes enfants, et mes chansons préférées.
Et demain, quand tu reviendras me voir, tu me chantonneras du Moustaki et je me lèverai avec le sourire. Tu me sortiras la jolie robe bleue boutonnée devant et je la mettrai avec plaisir. Tu me proposeras une cuillerée de miel dans mon fromage blanc et je le mangerai avec délice.

Demain, tout sera différent, parce que tu me regarderas autrement. Tu me regarderas avec mes yeux.