dimanche 17 juillet 2016

Le contrat

Article 212 : Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance.

Tu te rappelles mon amour? Ces voeux, nous les avons faits ensemble devant le maire. Toi, moi, par un beau samedi du mois de juin, il y a cinquante-quatre ans. Toi dans ton beau costume, moi dans ma robe blanche. Nos parents, fiers, souriants, et cette belle photo de nous en noir et blanc qui trône sur la cheminée depuis tant années. Fidélité, secours, assistance. Des engagements que nous avons tenus. Jour après jour, malgré la trop charmante voisine qui te tournait autour, malgré la perte de ton emploi, malgré l'accident qui a coûté la vie à notre fille.

Article 213 : Le mari est le chef de la famille. Il exerce cette fonction dans l'intérêt commun du ménage et des enfants.

La femme concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à pourvoir à son entretien, à élever les enfants et à préparer leur établissement.

Tu as travaillé dur. J'ai élevé nos enfants et tenu la maison. Quand tu rentrais le soir, la soupe était prête et la maison propre. Un parfait petit mari travailleur, une parfaite petite maîtresse de maison. Une parfaite petite famille dans une parfaite petite maison.

La femme remplace le mari dans sa fonction de chef s'il est hors d'état de manifester sa volonté en raison de son incapacité, de son absence, de son éloignement ou de toute autre cause.

Parfois, tu partais loin. Je m'occupais de tout. Tu pouvais avoir l'esprit tranquille, tu savais que tout irait bien en ton absence. Je pouvais avoir l'esprit tranquille, je savais que nous serions heureux de nous retrouver.

Article 214 : Si le contrat de mariage ne règle pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils contribuent à celles-ci en proportion de leurs facultés respectives.
L'obligation d'assumer ces charges pèse, à titre principal, sur le mari. Il est obligé de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état.

Nous n'avons presque manqué de rien. Nous avons pu acheter notre maison et payer les études des enfants. Tout était bien. Bien sûr il y a eu des périodes difficiles, parfois, mais ça n'était rien à côté des privations subies pendant la guerre. Nous avions tellement manqué de tout quand nous étions enfants! Alors, pouvoir manger à chaque repas et dormir au chaud, quel luxe en vérité!

La femme s'acquitte de sa contribution aux charges du mariage par ses apports en dot ou en communauté et par les prélèvements qu'elle fait sur les ressources personnelles dont l'administration lui est réservée.
Si l'un des deux époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre époux dans les formes prévues à l'article 864 du code de procédure civile.

Nul besoin de contrainte dans notre couple. L'argent n'a jamais été sujet de discorde entre nous. Nous étions économes sans être radins, nous avions ce qu'il fallait sans crouler sous l'opulence. Je n'ai jamais vérifié tes fiches de paye, tu n'as jamais vérifié mes dépenses pour le ménage. La confiance était totale et réciproque.


Article 215 : Le choix de la résidence de la famille appartient au mari ; la femme est obligée d'habiter avec lui, et il est tenu de la recevoir.
Lorsque la résidence fixée par le mari présente pour la famille des dangers d'ordre physique ou d'ordre moral, la femme peut, par exception, être autorisée à avoir, pour elle et ses enfants, une autre résidence fixée par le juge.

C'est sur ces dernières phrases que nos chemins se séparent. Tu comprends mon amour, je ne peux plus vivre avec toi. Parce que justement, je ne vis plus. Parce que je passe mes jours et mes nuits à m'inquiéter pour toi. Parce que nous sommes devenus des étrangers l'un pour l'autre. Je ne suis plus ton épouse. Je suis parfois ta soeur, souvent ta mère, et la plupart du temps une parfaite inconnue. Tu n'es plus mon époux. Tu es celui qui hurle la nuit, celui qui m'insulte, celui qui m'ignore. Je voudrais t'aimer, mais je n'y arrive plus. Parce que tu me fais peur, parce que m'épuises, parce que tu finiras par me tuer.
Je ne me débarrasse pas de toi mon amour. Je le fais pour toi, pour moi, pour nous. Je le fais parce que nous avons été un couple heureux, et que je veux garder ce souvenir de nous. Parce que tu étais mon mari, mon amant, mon tout. Parce que notre amour n'a pas su résister à la maladie. Parce que je suis trop vieille pour mourir d'amour.
Tes valises sont prêtes. Toi, tu tournes en rond dans le salon, comme tous les jours. Je t'ai parlé de cet endroit où tu allais, je t'ai dit que je ne t'abandonnais pas mais que je te confiais à d'autres qui sauront mieux s'occuper de toi. Je ne t'ai pas menti. Alors pourquoi ai-je ce sentiment amer d'une ultime trahison? Pourquoi cette culpabilité lancinante? Pourquoi cette envie de mourir quand je t'offre une nouvelle vie?
Pourquoi ce chagrin d'amour alors que nous nous sommes tant aimés?

Article final : Jusqu'à ce qu'Aloïs vous sépare.* 


* merci à @kataidante pour la touche finale

PS : l'époux et l'épouse de ce texte sont des personnages fictifs. Purement fictifs. Ne les cherchez pas parmi les résidents que vous connaissez, ils n'existent pas.

dimanche 10 juillet 2016

Mon passé, votre présent

Je suis assise dans un fauteuil et j'attends. J'attends quoi? J'ai oublié. Sans doute un repas, mais je ne sais plus lequel. Pas grave, pas important.
En face de moi, le mur. Sur le mur, des photos. Je les regarde attentivement. Des bébés joufflus, des enfants souriants, une photo de mariage... Qui sont tous ces gens? Je scrute chaque visage, à la recherche d'un indice. Le gros bébé, à gauche, ressemble vaguement à ma petite-fille Élodie quand elle était petite. Le blondinet, au milieu, avec son pull à rayures, on dirait bien le petit Paul... Mais Paul a au moins trente ans maintenant, si ce n'est plus... Donc ce n'est pas lui... Son fils peut-être? Et là, cette photo de mariage? La mariée est belle, très belle même, aussi belle que pourrait l'être Cassandra... Quant au marié, non, vraiment, son visage ne me dit rien. Je ne le connais sans doute pas. Depuis combien de temps n'ai-je pas vu Cassandra? Elle passait tous ses étés chez nous quand elle était petite. Le jardin était son terrain de jeux, elle y avait construit une cabane avec ses cousins. Des étés de rires, de clafoutis aux cerises et de courses à vélo dans le petit bois. Et puis les petits-enfants ont grandi, et j'ai vieilli. Charles est parti il y a longtemps déjà. Le crabe a grignoté ses poumons et sa vie. Cinquante-quatre ans d'amour. Quel vide il a laissé derrière lui! De mamie-gâteau je suis passée à mamie-ronchon. Les douleurs du veuvage et de l'arthrose ne sont pas les compagnes idéales quand on veut rester une gentille grand-mère.
Les petits-enfants ont grandi. Les études, les mariages, les enfants... Et mes enfants sont devenus grands-parents à leur tour. À eux maintenant les rôles de mamie-tricot et papi-bricole, moi je suis devenue la Vieille, celle qui est trop vieille pour s'occuper des enfants, trop vieille pour les faire sauter sur ses genoux, trop vieille pour leur faire de bons gâteaux. Je suis devenue la Vieille dans sa vieille maison, avec son vieux chat, ses vieux meubles et ses vieux souvenirs. La vieille qui pue le vieux.
La dépendance a fait irruption sans que je m'y attende. À défaut de recevoir les visites de la famille, j'ai reçu celles des soignants. Aides à domicile, infirmières, kinés... Je n'avais presque plus rien à faire, juste à rester assise dans mon vieux fauteuil à attendre le ding dong de la prochaine visite. Reposant... et mortellement ennuyeux.
L'étape d'après, en toute logique, c'était la maison de retraite. Parce que la Vieille était trop dépendante, parce que c'était trop risqué de rester seule dans cette grande maison, parce que je serais mieux ici... Tu parles! Ils m'ont bien eue sur ce coup!
Ils m'ont acheté des meubles neufs, plus petits, plus fonctionnels, et m'ont demandé d'y caser l'essentiel de ma vie. Ils m'ont acheté des vêtements neufs, parce que les miens sentaient trop le vieux. J'avais une grande et vieille maison, j'ai maintenant une petite chambre neuve. J'avais des robes uniques, cousues de mes mains, j'ai maintenant des vêtements fabriqués en série par des gens que je ne connais pas.
Ils m'ont installée ici avec mes meubles et mes vêtements neufs, fiers d'eux, fiers du sacrifice financier qu'ils faisaient pour la Vieille, alors que je ne leur avais rien demandé, et ils sont repartis. Ils sont venus me voir tous les jours, puis toutes les semaines, puis tous les mois... Et maintenant, une fois de temps en temps... Parce qu'ils sont loin, parce qu'ils sont occupés, parce qu'ils ont du travail... Parce qu'aller voir la Vieille qui pue le vieux dans sa prison pour vieux, c'est pas très glamour comme sortie dominicale.
Mais ils pensent à moi, ils me le répètent à chaque fois. D'ailleurs, ils m'amènent des photos. Des photos de bébés joufflus, de blondinets souriants et de mariages auxquels je n'ai pas été invitée. Ils m'envoient des faire-part de naissance et des cartes postales de destinations lointaines... Espagne, Martinique, Inde... Ils me parlent de leur boulot, de leurs gosses, de leur vie... Mais ils ne me parlent pas de la mienne.
Sur le mur en face de moi, je regarde leurs vies. Leurs vies dont je ne fais plus partie. Je regarde ces enfants que je ne connais pas et dont, en toute sincérité, je me moque éperdument. Je vais bientôt mourir. Je n'ai pas particulièrement peur, je ne suis pas particulièrement triste. J'ai fait mon temps, c'est tout.
Je voudrais revivre mon passé, pas vivre le présent des autres. Je voudrais qu'on me laisse m'enfermer dans mes souvenirs.
Je voudrais respirer le parfum de Charles, caresser le bois de ma vieille armoire, écouter les chansons de mes vingt ans, manger du clafoutis aux cerises, revoir les gens et les lieux que j'ai aimés, pas ceux que je n'aurai pas le temps d'aimer.
Laissez-moi repartir en arrière, et continuez sans moi. Ne soyez pas tristes... Je serai tellement plus heureuse ainsi, dans les sensations du passé.
Tant de beaux souvenirs, tant de joies surannées, tant de bonheur oublié... Les rires... les clafoutis... les mains de Charles... les boucles blondes de mon petit garçon...

PS : en vrai, je ne suis pas assise dans un fauteuil. Je suis assise sur une chaise de bureau et j'attends que mon chat quitte mes genoux pour aller faire à manger.

mardi 5 juillet 2016

Chambre 423


Décembre 2013
À l'époque, je suis élève aide-soignante, et je suis en stage à l'hôpital dans lequel est mort mon père à peine plus d'un an plus tôt. C'est le dernier jour que l'émotion me submerge.

Je suis donc retournée à l'hôpital. Le premier jour, après être sortie de ma voiture, je suis restée de longues minutes devant ce grand bâtiment qui avait englouti mon père. Tout droit, l'entrée. À gauche, la chambre mortuaire. À droite, le service de gastro. Là où il est mort. Entrer. Prendre à droite, direction l'ascenseur, et monter. Pas en gastro, non, mais l'étage en dessous. Chirurgie. Dernière porte, tout au fond. Mêmes couloirs, mêmes chambres, même vue depuis les fenêtres.
Même numérotation de chambres. Chambre 423. La même qu'en haut. Exactement la même. De la fenêtre, je vois le clocher de l'église du bourg voisin. Là où a eu lieu la cérémonie d'enterrement.
Un mois de stage. Un mois à passer devant la chambre 423. J'y entre rarement car ce n'est pas "mon" secteur. Servir un repas de temps en temps, aider à l'installation d'un patient, apporter un bassin... Je n'y reste jamais longtemps.
Dernier jour de stage. Je finis dans une heure. L'après-midi, c'est le nettoyage à fond des chambres des sortants. Cet après-midi, c'est la chambre 423 qui est à faire. Bizarrement, ça ne fait pas tilt. Je commence tranquillement, je désinfecte le lit, le matelas, tout en discutant avec ma co-stagiaire, et subitement, je réalise. Je suis dans la chambre 423. Pile au-dessus de moi, mon père est mort. Arrêt. J'ouvre les volets en grand. De même que j'étais restée de longues minutes devant l'hôpital le premier jour, je reste devant la fenêtre et je regarde. Les champs, la petite route qui s'en va vers le bourg, et le clocher, au loin, dans la brume. Le dernier paysage qu'a vu mon père.
Larmes. Et sourire. La boucle est bouclée.

dimanche 3 juillet 2016

Vieillir


Quand j'étais toute petite, ma vie tournait autour de trois dates : Noël, mon anniversaire, ma fête. Trois événements, trois occasions d'avoir des cadeaux. La vie est simple pour les enfants. Évidemment, il y avait d'autres dates importantes : Pâques pour les chocolats, les vacances scolaires pour aller chez ma mamie, le jour de l'An pour pouvoir se coucher tard. Et puis j'ai grandi. Je me suis intéressée à d'autres choses que ma petite personne. Mon frère et mes parents avaient eux aussi leurs dates importantes. Et puis, il y avait les fêtes commerciales, celles dont tout le monde parle. Chez nous on fêtait tout ce qui pouvait se fêter : anniversaires, fêtes, anniversaires de mariage et de fiançailles, fête des mères, fête des pères, Saint-Valentin... Ça en faisait des dates à retenir!
Quatorze février, trente avril, deux juin, treize juin, vingt-deux novembre, vingt-cinq décembre... Des gâteaux, des cadeaux, des bougies... Des repas, des fêtes, des rires...
Et puis j'ai encore grandi. À cette collection d'événements familiaux sont venues s'ajouter les dates historiques, celles qu'on apprend à l'école. Huit mai, dix-huit juin, quatorze juillet, onze novembre... Cortèges, commémorations, jours fériés...
J'ai fondé une famille. Un mari, deux enfants, deux beaux-parents... De nouveaux anniversaires, de nouvelles fêtes. Vingt-et-un août, seize novembre, vingt-deux juin, trente-et-un octobre...
Mon frère a fait de même. Une femme, des enfants... Encore des dates. Vingt-sept avril, quinze août, trente janvier, vingt-deux février...
J'ai vieilli. Des gens sont morts. Treize septembre, trente juillet, vingt-neuf avril...
J'ai trente-neuf ans. Chaque mois, il y a quelque chose dont je dois me souvenir. Chaque souvenir me ramène quelques années en arrière.
Ma nièce est née un vendredi. C'était le dernier jour de mon stage de moniteur-éducateur, j'ai appris sa naissance par un sms reçu alors que je me trouvais dans le hall d'entrée d'un Institut Médico-Éducatif quelque part dans le Tarn.
Ma mère est morte un lundi, comme mon père. Comme mon beau-père aussi. J'aime pas les lundis.
Je suis née un samedi. Ce soir-là, mes parents devaient aller à un bal. Finalement, ils sont allés à la maternité, je suis née, et mon père est allé au bal tout seul pour annoncer qu'il venait d'avoir une fille!
AZF a explosé le vendredi vingt-et-septembre 2001 à 10h17. J'étais en cours et je rêvais d'une pause café/clope, je venais tout juste de regarder ma montre en soupirant. Il y a eu comme un bruit sourd, puis un souffle, et puis... BOUM! Les grandes vitres de la salle ont volé en éclats, il y a eu des hurlements, une bousculade, nous sommes tous sortis précipitamment de l'école. Après le moment de sidération, je suis rentrée chez moi, calmement, de toute façon l'école était toute cassée, inutile de s'attarder.
Des dates et des souvenirs, j'en ai plein. Une date, un événement, un lieu, un nom. Et puis des images, des bruits, des émotions. Des souvenirs précis, d'autres flous, des sensations diffuses ou des images brutes.
Chaque mois qui commence amène son cortège de dates à retenir. On fête, on commémore, parfois on oublie.
Je vais vieillir, mes enfants vont grandir. Ils vont vivre des choses eux-aussi : diplômes, mariages (j'espère), naissances (j'espère encore plus fort)...
Ceux qui m'entourent vont mourir. Encore des dates, encore des pierres à graver.
Et puis un jour je serai vieille. Une vieille mamie toute ridée toute fripée. Comme toute bonne vieille mamie qui se respecte, je ferai des confitures et tricoterai de la layette pour mes petits-enfants, si je n'ai pas trop d'arthrose. Et comme toute bonne vieille mamie qui se respecte, il faudra me répéter trois fois que la semaine prochaine c'est l'anniversaire de Sidonie, la deuxième fille de mon fils (et non la première fille de ma fille). Moi, pendant ce temps, j'essaierai désespérément de me souvenir du prénom du premier mari de ma fille, celui qui était si gentil, parce qu'il me semblera que c'est bientôt son anniversaire. Perdue dans mes pensées, je n'écouterai pas mon fils égrener pour la énième fois les prénoms et anniversaires de ses sept enfants (sept enfants et quatre mères différentes, quelle idée de tomber si souvent amoureux aussi!). Il me dévisagera, inquiet, me demandera comment s'appelle le plus jeune de ses fils puis, devant mon hésitation, froncera les sourcils, et je devinerai dans ses yeux (qu'il a fort beaux) le spectre d'Alzheimer.
Soyez indulgents avec vos vieux parents. Ils ont tant et tant de souvenirs, tant et tant de dates à retenir, qu'il leur faut parfois du temps pour retrouver le bon moment au bon endroit. Il faut fouiller, dépoussiérer, retourner des vieilles choses. Et puis, parfois, au milieu des images, des sons et des émotions, certains prénoms disparaissent, certaines dates s'effacent, engloutis par la marée montante des choses de la vie...
Soyez gentils, n'accusez pas Monsieur Alzheimer tout de suite, n'invoquez pas la sénilité, acceptez juste que parfois, les vieux ont la mémoire qui déborde de trop de choses.

samedi 2 juillet 2016

Quand je serai vieille...


Quand je serai vieille...





Quand je serai vieille, je ne veux pas qu'on m 'appelle « ma ptite dame » ou « ma jolie ». Je veux être respectée et conserver mon identité jusqu'à la fin. Je ne veux pas qu'on me retourne dans tous les sens sans même me prévenir pendant les soins. Je veux qu'on me touche avec douceur et qu'on m'explique ce qu'on me fait. Je ne veux pas qu'on me juge et qu'on dise de moi que je suis difficile ou compliquée. Je veux qu'on me traite avec bienveillance et qu'on accepte que je ne sois pas toujours de bonne composition.
Quand je serai vieille, je ne veux pas dormir dans des draps d'hôpital, je veux mon linge de lit. Je ne veux pas être lavée au gant jetable, je veux mes affaires de toilette. Je ne veux pas qu'on me serve mes repas dans des barquettes en plastique, je veux une jolie vaisselle comme à la maison.
Quand je serai vieille, je ne veux pas d'une couche, je veux une protection. Je ne veux pas d'un bavoir, je veux une grande serviette. Je ne veux pas d'un verre canard, je veux un verre ergonomique.
Quand je serai vieille, je ne veux pas qu'on parle devant moi comme si je n'étais pas là. Je veux pouvoir discuter avec ceux qui s'occuperont de moi. Je ne veux pas qu'on s'empare de mon fauteuil sans me prévenir pour m'embarquer à toute vitesse à l'autre bout du couloir. Je veux qu'on m'annonce qu'on va changer de pièce et qu'on chemine à un rythme qui ne me donne pas le vertige. Je ne veux pas qu'on me dise de faire dans ma protection sous prétexte que je suis trop longue à installer aux toilettes. Je veux que mes besoins élémentaires soient respectés et ma dignité conservée.
Quand je serai vieille, je marcherai moins bien, j'entendrai moins bien, je comprendrai moins bien. Mais je serai toujours capable d'aimer telle ou telle personne, d'avoir envie de tel ou tel menu, d'avoir peur de tel ou tel événement.

Quand je serai vieille, je veux juste qu'on ne m'enlève pas le droit d'être moi.