lundi 27 mai 2019

Sa dignité

Elle sonne. Elle sonne, mais personne ne vient. Elle appuie frénétiquement sur le bouton rouge, sur ce putain de bouton rouge, mais en vain, personne ne répond à son appel, elle est seule. Elle sonne, encore et encore, elle n'en peut plus d'attendre, elle ne tient plus. La soignante a mis les barrières de lit en partant, elle est trop faible pour les enjamber, trop faible pour se lever seule, trop faible pour marcher, et pourtant il faut qu'elle se lève, il le faut absolument, elle ne peut plus attendre. Alors elle appuie, encore et encore, sur ce putain de bouton rouge, sur cette maudite sonnette qui doit bien sonner quelque part. Et à force de sonner, et d'attendre, elle pleure, elle pleure parce qu'elle est seule, parce qu'elle est faible, parce qu'il faut qu'elle se lève, maintenant, c'est urgent, et qu'elle ne peut pas, à cause de cette putain de barrière de merde.
C'est à ce moment précis que j'arrive. Je frappe à la porte, trois petits coups discrets, de peur de déranger, et j'entre doucement. Devant moi, le spectacle désolant. Je suis face à une femme paniquée, en larmes, prisonnière d'un lit d'hôpital. Une femme qui pleure parce qu'elle veut se lever et que personne n'est là pour l'y aider. Une femme seule, qui appuie désespérément sur un putain de bouton rouge qui doit bien résonner quelque part dans cet hôpital.
Je suis face à cette femme qui va bientôt mourir, dévorée par le cancer, cette femme maigre et faible, désespérément faible, trop faible pour sortir de son lit. Cette femme trop faible pour aller seule aux toilettes, qu'on a laissée là, dans ce lit, avec une alèse jetable "au cas où". Cette femme qui va mourir mais qui n'est pas encore morte, qui veut simplement aller aux toilettes, parce que ça, elle peut encore le faire, elle n'est pas totalement vaincue, il lui reste encore ça, cette faculté, celle d'aller aux toilettes, de ne pas se faire dessus. Il lui reste cette ultime dignité, elle dont le corps a été touché, déshabillé, traité, marqué, irradié. Dignité perdue dans un lit d'hôpital, entre une sonnette inutile et une alèse jetable. Dignité perdue face à la jeune femme qui vient d'entrer et qui la voit pleurer de honte et de colère.

Cette femme... ma mère... L'image terrible de ma mère vaincue et de sa dignité perdue. L'image qui ne s'efface pas, gravée, indélébile. Humiliante.
Ma mère...

Maman.

25 commentaires:

  1. Récit poignant mais hélas encore véridique!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne peux supporter cet état de fait ,j'ai vécu la même chose avec ma maman en fin de vie à l'hôpital et étant à l'époque moi-même aide-soignante en EPAD ,j'ai été obligée d'appeler quelqu'un et exprimer mon mécontentement;je ne suis malheureusement loin d'être parfaite et je me suis battue à mon échelle à l'endroit où je travaillais pour qu'une sonnette ne reste pas sans réponse,il est inadmissible de ne pas répondre à une sonnette,je sais qu'il y a beaucoup de travail ,qu'on est pas assez nombreuses mais tout de même ,on a choisi ce travail et à nous de le faire du mieux possible.

      Supprimer
  2. Cela ravive en moi les années passées à l hôpital en tant qu'infirmière. J ai quitté cet endroit inhumain froid et décadent.

    RépondreSupprimer
  3. Je suis Aide-Soignante et j'ai souvent souffert de devoir dire "attendez" et souvent quand enfin, je pouvais me libérer c'était trop tard...des larmes retenues auraient pu devenir un lac de souffrance! Souvent les familles déversent leur colère sur nous, ajoutant à notre culpabilité mais combien je les comprends...mais 2 aide-soignantes pour 30 patients que faire...oui, familles battez-vous mais faites des courrier en haut lieu car nous, on ne peut rien faire! vous aiderez tout le monde et vous pour plus tard! car, on nous annonce des de nouvelles suppressions!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi,IDE à la retraite,j ai souvent dit à la famille de se plaindre... Très peu le faisait.
      Parfois on leur a répondu qu elle pouvait changer la personne de lieu...MS pour aller où ???

      Supprimer
  4. La nuit juste avant sa mort, j'ai vécu avec ma mère ce même supplice, à Gustave-Roussy, Vllejuif, "à la pointe"... :/
    C'était la nuit avant le lundi de Pâques 1998... il n'y avait qu'une personne à l'étage, débordée, évidemment...

    RépondreSupprimer
  5. Mon mari est décédé à Baclesse en 2015,je suis restée avec lui du 23/12/2014 au 7/01/2015,il est parti dans mes bras, je me suis toujours opposé à la protection et à la sonde malgré leur demande, mon mari est parti dans la dignité. Je comprends le combat des soignants mais le confort des patients est pour moi prioritaire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui mais du coup on est pas des super héro et on peut pas être partout à la fois quand on est en sous effectif constant...

      Supprimer
    2. Vous vous opposez à la protection et à la sonde, mais ça ne vous dérange pas donc de demander à une soignante de faire le transfert pour votre proche quand elles sont constament débordées... Faudrait voir à se retourner contre les bonnes personnes un jour

      Supprimer
  6. Trop triste réalité par manque de pesonnel

    RépondreSupprimer
  7. Très beau texte, tellement émouvant, poignant et tellement véridique malheureusement.... garder sa dignité à tout prix oui !

    RépondreSupprimer
  8. Très émouvant, quel dommage qu’aujourd’hui on ne parvienne plus à garder nos mamans à la maison, près de nous, pour les accompagner dans un environnement bienveillant pour leur fin de vie. Quel dommage qu’on ne puisse pas leur rendre ce qu’elle ont fait pour nous, les lever la nuit pour nous donner à manger, changer nos couches, consoler nos chagrins et supporter nos crises. Et pourtant elles devaient aller travailler au matin, elles aussi... Mais bon, à l’hôpital, il y a des gens débordés pour faire ça à notre place. C’est leur métier....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme vous le dîtes c 'est leur métier! Cependant, actuellement, les familles qui le souhaitent peuvent garder leur maman près d'eux plutôt que de les hospitaliser... il y a des hospitalisations à domicile et des aides pour permettre de les garder près de nous plutôt que de les laisser partir seules...... Vous dîtes aujourd'hui, on ne parvient plus a les garder!!, Pourquoi ? Parce que ça "dérange" une vie bien organisée, tranquille et égoïste ..... Ma maman a été plusieurs fois hospitalisée pour y être soignée en période aïgue où elle nécessitait des interventions, mais jamais je ne l 'ais abandonné à l'hôpital, et elle a fini chez moi accompagnée de ses enfants et petits enfants .Je n 'aurais jamais pu l' abandonner, car même si comme vous dîtes il y a des gens pour ça à l'hôpital, rien ne peut remplacer l'amour de ses enfants

      Supprimer
  9. En 1981 ,j étais maman de 5 enfants et je me suis occupée de ma maman atteinte d un cancer ,elle est décédée chez moi avec ses petits enfants et ses enfants tous présents nous (étions 8 enfants),puis ce fut le tour de mon papa et pour rien au monde je ne l aurai laissé autre part qu a la maison .Pour moi tout ceci me parait normal.Ils nous ont donné la vie et élevé .Si c était a refaire je n hésiterais pas 1 seconde

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis profondément touchée Madame, car je pense et j'agis comme vous

      Supprimer
  10. chère madame,
    j'ai été infirmière en maison de repos pour personnes âgées pendant près de 40 ans. Jamais autant qu'aujourd'hui ,je n'ai vu autant de personnel soignant se détourner de sa mission première : aider l'humain en détresse . J'ai choisi cette profession avec mon cœur, j'ai été entourée et encadrée par des religieuses qui m'ont appris à voir la beauté de la vieillesse , et j'ai aimé par dessus tout cette mission : apporter le réconfort, la tendresse , la douceur ,aux humains vulnérables , fragilisés par les souffrances de la vie que l'âge leur apporte . Je suis écoeurée de lire ce que vous écrivez car je sais que ce que vous écrivez est exact, c'est la réalité quotidienne des vieillards d'aujourd'hui quand ils sont en maison de repos . C'est la mort dans l'âme que j'ai été contrainte de mettre fin à ma carrière , mais je ne pouvais plus supporter ce que je voyais : des gens sans âme, se plaindre sans cesse de la charge de travail, du temps imparti pour le faire et à qui il manquait le plus important pour cela : l'envie d'aimer cette " charge " , l'envie d'utiliser le temps imparti de façon correcte et intelligente, l'envie d'exercer la profession infirmière pour ce qu'elle est : une mission . Je suis désolée de lire ce que votre maman a vécu, il en a été de même pour la mienne, j'ai eu la chance de pouvoir la reprendre chez moi afin qu'elle puisse mourir dignement , entourée d'amour . Sachez ceci madame: la profession d'infirmière aujourd'hui n'a plus rien d'humain, non pas parce que la charge est grande, ou parce que la paperasse est lourde, ou parce que le personnel est peu nombreux, mais parce qu'il n'y a plus d'amour … par ailleurs, grâce à la Région Wallonne, l'urgence est administrative, car dans la société procédurière dans laquelle nous vivons, il est plus important d'avoir un dossier rempli qu'un patient soigné . Hélas , on peut mentir dans des dossiers : écrire qu'on a donné à boire, écrire qu'on a changé le patient et bien autre chose alors qu'on ne l'a pas fait . Ne pas avoir le temps, c'est la belle et grande excuse pour expliquer qu'on n'a pas fait sa mission; la vraie raison est qu'on a le temps, mais qu'on ne l'utilise pas comme on devrait, car pour cela , il faut en avoir envie , et pour en avoir envie, il faut aimer ce qu'on fait . Je vomis ce monde sans âme . Vous avez toute ma sympathie . Odette Dauchot de Binche

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Lenn A SENGES, Infirmier4 juin 2019 à 11:07

      L'envie serait donc la seule absente d'une situation intenable, ingérable pour chacun ? Les soignants d'aujourd'hui auraient ils perdus cet amour selon vous ? Chacun d'entre eux, dans toutes les formes d'institution et selon une dégradation globale et similaire ?

      Oui, c'est vrai, les plaintes sont nombreuses et l'engagement dans le soin que nous cherchons, nous, jeunes soignants, à apporter se perd peu à peu dans une souffrance que je le déplore madame dans votre constat vous semblez éluder derrière ce que vous semblez juger comme une perte des valeurs qui vous étaient chères. Ces valeurs madames n'ont pas disparues, elles sont bien présentent, derrière les conflits, une responsabilisation de plus en plus importantes de chaque profession dans des conditions de moins en moins adaptées. Non madame, nous n'avons pas perdu notre âme ou notre amour, en revanche de plus en plus de nos confrères et consœurs perdent la vie faute de trouver d'autre moyen de protester ou de faire entendre leur souffrance car il semblerai que le soignant n'ai le droit que de soigner mais pas d'exprimer que lui aussi a besoin d'être préservé.

      Supprimer
  11. Ma mère vient de mourir dans une clinique à Tours et en pleine nuit seule à 73 ans elle s'etait faite opérée la veille et ils en ont eu rien à faire d'elle quand elle a sonné...elle était une femme très active,je les hais ces gens des hopitaux ,vraiment je les hais.

    RépondreSupprimer
  12. C'est triste et déplorable mais ce n'est pas le cas dans tous les hôpitaux
    Je suis depuis quelques mois aux urgences comme asl et vraiment je suis fier d être avec une équipe urgentiste
    Professionnel et à écoute des patients Malgré les chargés de travail

    RépondreSupprimer
  13. Touchant témoignage d'un fils envers sa maman.
    Touchant témoignage d'un usager des soins "à la française", de cette volonté d'économie de moyen et de personnels par nos politiciens bien loin de nos préoccupations quotidiennes.

    RépondreSupprimer
  14. Toujours les mêmes discours : Hôpitaux fermés parce que pas rentable. Toujours plus
    de rendement demandé au personnel...Il existe pourtant des exemples pas très loin de
    chez nous où cela se passe de façon décente. Va t on finir en destruction massive au nom du profit ? Réveillons nous !!!!

    RépondreSupprimer
  15. une triste verite!nous voulions etre infirmier pour aider les malades mais maintenant on se demande si on a bien fait.quelle honte!

    RépondreSupprimer
  16. Cet article me met les larmes aux yeux. Un humain est un être, pas une chose. Je n'ose imaginer la souffrance et le désespoir de cette femme, pour garder sa dignité, cette dignité qui la fait se sentir encore vivante, encore humaine...

    RépondreSupprimer